Relations contractuelles constructeurs-distributeurs : Mobilians tire la sonnette d’alarme pour éviter un immense gâchis économique et social
Alors que les portes du Mondial de l’Automobile se sont ouvertes depuis ce 17 octobre, témoignant du bouleversement du secteur à l’heure de l’essor de l’électrification du parc et des mutations de la mobilité, Mobilians tire la sonnette d’alarme : les négociations contractuelles, qui s’accélèrent dans de nombreuses marques, témoignent d’une tentative de prédation de certains constructeurs sur les distributeurs, mais aussi plus largement sur l’ensemble de la chaîne de valeur automobile (recyclage, location, …), alors même que les constructeurs enregistrent des profits inédits. Le dialogue économique sur l’avenir du réseau de distribution, peu transparent, conduit à la mise en place de nouveaux contrats totalement déséquilibrés. Mobilians appelle à une levée des clauses de confidentialité, sans délai, car elles ne permettent pas aujourd’hui d’instaurer un dialogue transparent. En effet, à la lecture des résultats du sondage mené par Mobilians auprès d’un panel de concessionnaires et d’agents de toutes marques , 60% des distributeurs déclarent qu’ils ne sont pas informés sur les contrats en cours de discussion (70% chez les agents), tandis que 80% d’entre eux ne sont pas prêts à les signer (85% chez les agents). Mobilians appelle en outre les pouvoirs publics à instaurer en urgence un cadre législatif national, tel qu’il existe à l’heure actuelle dans de nombreux pays européens, permettant d’encadrer les investissements exigés des distributeurs automobiles, les conditions de cession des entreprises et les indemnisations en cas de cession du contrat. En effet, le vide législatif national actuel laisse présager la perspective d’un véritable gâchis économique et de dégâts sociaux considérables : il pénalisera en premier lieu le consommateur, qui, face à la dérive inflationniste, se verra privé de son accès à la mobilité. Par la captation de valeur, il détériorera le tissu entrepreneurial local. Enfin, il amputera l’innovation dans les métiers de services au détriment de la compétitivité des entreprises.
Une prise de contrôle des constructeurs automobiles sur la chaîne de valeur
A la faveur d’un cadre réglementaire européen fragilisant la situation juridique du secteur du commerce de véhicules, et en l’absence de législation nationale en France, la situation de dépendance entre distributeur et constructeur est en train de s’accélérer significativement par la mise en place de nouveaux contrats de distribution totalement déséquilibrés, sur le modèle de contrats d’agence.
Mobilians donne l’alerte sur la dégradation très significative des relations contractuelles du fait d’un déséquilibre désormais total au seul profit de certains constructeurs. Ce modèle se détériore depuis plusieurs années à mesure que certains constructeurs ont augmenté l’importance des investissements et restreint la liberté commerciale des distributeurs. Le changement de modèle de ces constructeurs, visant à contrôler les sources de profits des véhicules, se base sur le déplacement de son centre de gravité économique, de la production vers les services au sens large du terme. De la vente au recyclage, ces constructeurs développent une véritable stratégie globale de captation sur l’ensemble de la chaîne de valeur automobile.
Certains constructeurs automobiles refusent de jouer cartes sur table et ne communiquent pas les principaux termes contractuels à l’ensemble des parties prenantes. Les informations sont lacunaires et données délibérément très tardivement, laissant entrevoir, non pas un partage de valeur, mais un transfert de valeur au détriment des distributeurs.
Un sondage mené par Mobilians auprès d’un panel de concessionnaires et d’agents montre que 60% des distributeurs déclarent ne pas être informés sur le contenu des contrats (70% pour les agents), 80% d’entre eux soulignant qu’ils ne sont pas prêts, en l’état actuel, à les signer (contre 85% des agents). 70% des concessionnaires et agents sont inquiets de la finalité des discussions en cours.
Les inquiétudes sur les sujets de négociation en cours portent, par ordre d’importance, sur les items suivants, tant pour les concessionnaires que pour les agents : 1. Rémunération et politique commerciale ; 2. Transfert et valorisation du fonds de commerce ; 3. Architecture juridique du contrat ; 4. Niveau de prise en charge des coûts spécifiques à l’activité, pour les marques souhaitant passer à un contrat d’agent ; 5. Maîtrise du négoce de véhicules d’occasion. Les agents soulignent également leurs inquiétudes concernant la captation de la propriété de la donnée client, ainsi que l’achat des pièces de rechange.
Si le choix vers des modèles d’agence se confirmait, et comme le CECRA le relayait à l’occasion de « Connect Europe », à la mi-septembre, les distributeurs demandent que les contrats d'agence des constructeurs respectent toutes les obligations légales de ce modèle de distribution particulier et n'incluent pas de clauses d'autres modèles de distribution à leur avantage exclusif. « Quel que soit le modèle de distribution que les constructeurs vont déployer, un aspect fondamental est que, qu'il s'agisse d'un distributeur ou d'un agent, ils ont besoin d'un modèle commercial économiquement viable, sinon l'avenir de la distribution, de la réparation et de l'entretien des voitures sera perturbé » ont indiqué les réseaux de concessionnaires et d’agents présents à l’occasion de Connect Europe.
Dans ce contexte, Mobilians demande en urgence la levée des clauses de confidentialité qui ne permettent pas aujourd’hui d’instaurer un dialogue transparent et des négociations équilibrées entre constructeurs et distributeurs. Les discussions en cours génèrent une détérioration brutale du climat économique au sein du secteur, laissant entrevoir une déstabilisation économique sans précédent dans l’histoire du commerce automobile.
Des dégâts considérables pour l’emploi local
Ce changement de modèle n’a pas vocation à créer de la valeur, mais à transférer entre les seules mains de certains constructeurs, dont les profits se sont littéralement envolés, la valeur habituellement produite par leurs partenaires des services de l’automobile, emportant pour les entreprises de la distribution et de la réparation une baisse significative tant du chiffre d’affaires que de la marge commerciale. Nombre d’entreprises ne résisteront pas à l’assèchement de leur activité et seront amenées à disparaître, cette issue étant anticipée par certains constructeurs, qui ont d’ailleurs déjà annoncé pour certains une réduction du périmètre de leur réseau.
Ce mouvement affectera en premier lieu le tissu d’emplois de proximité dans les villes moyennes et plus petites communes, en zone peu dense, là où la distribution et les réseaux des services de l’automobile ont un poids économique très important. Ainsi, la distribution automobile, pour 51% des entreprises du secteur, est située dans des villes de moins de 100.000 habitants, 31% d’entre elles étant implantées dans des communes de moins de 50.000 habitants. Les réparateurs sont établis sur un maillage plus fin encore et constituent de véritables acteurs de proximité.
L’orientation prise emporte donc une déstabilisation du réseau de distribution et la dégradation de l’emploi local, matérialisée par la disparition d’emplois directs et indirects. La distribution et la réparation automobile représentent aujourd’hui 275.000 emplois implantés sur l’ensemble du territoire non délocalisables, par contraste avec l’industrie qui a largement délocalisé – les activités de recherche et d’industrie des constructeurs français (PSA et Renault) représentaient en 2021 56.600 emplois en France[1].
Cette situation se fait au détriment de la compétitivité du secteur automobile en France et de la souveraineté économique, en déroulant le tapis rouge aux marques chinoises, en témoigne la présence des constructeurs chinois à l’occasion de ce Mondial Automobile 2022. Rappelons que la Chine est aujourd’hui au 2e rang des exportations automobiles, et qu’elle projette de devenir le pays leader du véhicule électrique dans le Monde.
Aujourd’hui, il est plus que jamais essentiel qu’industrie et commerce se réinventent ensemble. Seule la conscience d’une véritable communauté de destin permettra de fédérer une filière étendue, en engageant une dynamique capable de répondre aux défis actuels : transition écologique du parc automobile, révolution des technologies dans les mobilités. Des dirigeants de grands groupes aux artisans, tous les acteurs doivent se fédérer en faveur de la performance et de la croissance de notre filière française. Pour bâtir un projet robuste, il est indispensable de redonner de vrais espaces de liberté aux réseaux et de co-construire à partir d’une feuille de route commune qui fait aujourd’hui cruellement défaut.
Une dégradation à prévoir pour le service aux Français et leur accès à la mobilité
Les mouvements à l’œuvre laissent présager une dégradation du service automobile aux Français dans les zones, où par définition, parce qu’elles sont moins rentables, les constructeurs n’investiront pas. Le contrôle par certains constructeurs de l’ensemble de la chaîne de valeur et des prix de détail conduira mécaniquement à l’inflation du prix des véhicules.
Rappelons que depuis 2019, les tarifs des véhicules ont augmenté de 21%[2], la tendance ne venant qu’à s’amplifier du fait de l’environnement général actuel. Les évolutions de l’achat automobile en témoignent : alors que l’âge moyen d’un acheteur de véhicule neuf était de 44 ans en 1991, il atteint aujourd’hui 58 ans. Les ventes aux particuliers ne représentent plus que 46% des immatriculations et le véhicule est en pratique de moins en moins abordable pour le consommateur. L’accès au véhicule passe bien souvent par une prise en charge par l’employeur ou l’acquisition d’un véhicule d’occasion, lui-même frappé d’une dérive inflationniste et d’une prise de contrôle par les constructeurs.
L’acceptabilité du prix des véhicules par les consommateurs devient une problématique croissante, les Français, et notamment les plus précaires et installés en zone rurale ou dans des zones peu denses, étant les premiers impactés dans leur accès à la mobilité. Selon l’enquête annuelle de l’Observatoire Cetelem[3], les acheteurs de VO sont 80% à avoir renoncé à l’achat d’un VN en raison d’un coût jugé trop élevé. Seulement 25% des Français estiment qu’il est plus facile aujourd’hui de posséder une voiture que cela ne l’était pour leurs parents au même âge. Un tiers des Français n’ayant pas de voiture déclarent en avoir possédé une par le passé, mais avoir dû s’en séparer, essentiellement pour des raisons financières.
Derrière l’accès à la mobilité, c’est aussi l’accès à l’emploi et plus largement la vie économique et sociale qui sont pénalisés.
Dans ce contexte, alors que les Zones à Faibles Emissions se mettent en place d’ici 2025 dans près de 50 agglomérations en France, les Français seront confrontés à une double impossibilité – celle d’utiliser leur ancien véhicule, mais également d’en acheter un nouveau face à la dérive inflationniste.
Un vide législatif national au contraire d’autres pays européens
La non-reconduction du Règlement européen d’exemption n°1400/2002 du 31 juillet 2002, spécifique à la distribution automobile, et le rattachement de ce secteur au règlement général, en 2010, puis en 2022, ont profondément fragilisé la situation juridique du secteur du commerce automobile.
Dans un contexte réglementaire européen qui encadre de manière insuffisante les pratiques contractuelles entre constructeurs et distributeurs, de nombreux pays européens ont fait le choix d’encadrer la distribution, par des dispositions législatives spécifiques dans leur droit national, dans le but de préserver la capacité des distributeurs à contribuer à l’économie locale : c’est le cas de la Belgique, de l’Espagne, de la Grèce, de l’Autriche, du Luxembourg, et plus récemment cet été de l’Italie.
Ces dispositions législatives nationales prévoient l’obligation pour les constructeurs ou importateurs automobiles d’indemniser les investissements non amortis engagés par leurs distributeurs et/ou un droit à l’indemnité compensatrice au profit de ceux-ci en fin de contrat. En effet, dans le contexte où certains constructeurs entreprennent de remplacer les contrats de distribution sélective par des contrats d’agence, visant à contrôler le prix des ventes de véhicules neufs aux consommateurs, de telles dispositions sur le plan national exigent, d’une part, de ces constructeurs qu’ils assument la charge de tous les investissements nécessaires à la commercialisation des véhicules neufs et de leur marque, et d’autre part, conformément aux statuts des agents commerciaux, qu’ils versent une indemnité compensatrice du préjudice subi par l’agent du seul fait de la cessation du contrat d’agence.
Mobilians alerte les pouvoirs publics sur la nécessité de prévoir en urgence une réglementation spécifique sur le plan national, alors que les discussions entre constructeurs et distributeurs relatives aux contrats sont largement avancées.
De telles dispositions législatives au niveau français doivent permettre d’encadrer les investissements exigés des distributeurs automobiles, les conditions de cession des entreprises ainsi que les indemnisations en cas de cession du contrat, au regard des investissements réalisés par les distributeurs et de la clientèle attachée à la marque.
Mobilians propose que la réglementation en droit français porte plusieurs dispositions :
- préciser que les investissements exigés des distributeurs automobiles soient
raisonnables au regard des perspectives économiques ;
- donner liberté aux distributeurs automobiles de céder leurs entreprises en réservant
aux constructeurs un droit de préférence, assorti le cas échéant d’une
faculté de substitution, leur permettant de conserver le contrôle de leur réseau ;
- prévoir des indemnisations en cas de cessation du contrat, prenant en compte les
investissements réalisés par les distributeurs et la clientèle qu’ils ont attachée
localement à la marque.
Face aux enjeux massifs qui s’annoncent, Mobilians engagera toutes les actions qu’elle jugera nécessaire afin de prévenir toute poursuite de la déstabilisation du réseau de distribution automobile en France.
À propos de Mobilians
Mobilians est le premier mouvement des chefs d'entreprises du commerce et de la réparation automobile et des services de mobilité : voitures, motos, vélos, véhicules industriels, trottinettes, etc. Notre organisation professionnelle représente près de 160 000 entreprises de proximité et 500 000 emplois non délocalisables partout en France. Mobilians défend les intérêts individuels et collectifs des professionnels de la mobilité par la route et les accompagne dans les évolutions de leurs métiers. Il déploie une action prospective de développement durable et de promotion d'une mobilité individuelle ou partagée en lien avec toutes les parties prenantes.
Contacts presse :
- Dorothée Dayraut Jullian, Directrice des Affaires publiques et de la Communication – 06.16.95.31.35
[1] Sources : https://www.renaultgroup.com/groupe/implantations/; https://site.groupe-psa.com/sochaux/fr/autres-sites-usines/
[2] Source AAA-DATA (2022)
[3] Enquête annuelle de l’Observatoire Cetelem – 16.000 personnes interrogées dans 18 pays, dont 3000 en France et 800 dans chacun des autres pays.