Proposition de « Leasing social » : la trajectoire de décarbonation doit prendre en compte la trajectoire sociale et budgétaire
Les nouvelles réglementations à l’œuvre nécessitent d’envisager très rapidement des dispositifs visant à préserver la mobilité des Français et à favoriser l’accès à une offre de véhicules vertueux.
Contexte
Les nouvelles réglementations à l’œuvre nécessitent d’envisager très rapidement des dispositifs visant à préserver la mobilité des Français et à favoriser l’accès à une offre de véhicules vertueux :
- En premier lieu, la mise en place des Zones à Faibles Emissions, soit l’interdiction à la circulation de vignettes Crit’Air 3, 4 et 5, à compter du 01/01/2025, mise en place par la Loi d’Orientation des Mobilités, et renforcée par la Loi Climat et Résilience, tout d’abord dans 11 métropoles, et élargie aux agglomérations de plus de 150.000 habitants. Pour rappel, les véhicules Crit’Air 3, 4 et 5 et non classés représentent, dans la France entière, respectivement 24,1%, 8,4%, 2% et 3,6% du parc, soit 38,1% du parc automobile. Si l’on se concentre sur les seules agglomérations concernées par la mise en place des ZFE au mois de juin 2022, le parc concerné s’élève respectivement à 23%, 7%, 2% et 3% du parc, soit 35% (cf. Annexe 1).
- En second lieu, la règlementation européenne, avec le Paquet Climat « Fit for 55 », qui fera l’objet d’un vote au Conseil des ministres européens ce 28 juin, après l’adoption de la fin du véhicule thermique en 2035 par le Parlement européen, le 8 juin dernier, impose une transformation sans précédent, qui doit se traduire par un Plan d’accompagnement, aussi bien auprès des usagers que des entreprises de la filière automobile, et tout particulièrement de « l’Aval » de la filière, permettant ainsi d’éviter de mettre à mal l’un des derniers secteurs d’excellence en Europe.
Il existe une décorrélation grandissante entre le pouvoir d’achat des Français et le prix catalogue des véhicules depuis 2011, ce décalage devenant significatif à partir de 2018. Les ménages réagissent en achetant des véhicules de plus en plus anciens – ils n’ont jamais autant acheté de véhicules d’occasion de plus de 15 ans - et en augmentant leur durée de détention. En effet, le parc automobile vieillit (11 ans d’âge aujourd’hui, contre 9 ans en 2017).
Rappelons que, selon une étude du CSA pour l’Association éco entretien :
- 1/3 des Français dispose de 0€ à consacrer à l'automobile ;
- 1/4 des Français ne peut pas consacrer plus de 3990€ au budget automobile ;
- Seuls 14% peuvent y allouer plus de 20.000€.
Il est à constater que la répartition des revenus moyens des Français ne permet pas, sans dispositif adapté de soutien, de répondre à la contrainte de renouvèlement d’un véhicule vertueux :
- 30% des ménages français ont un revenu annuel inférieur à 19730 Euros, et 80%, à moins de 46450 Euros par an (cf. Annexe 2 – revenu disponible par ménage selon la tranche de revenu) ;
- Le revenu moyen d’un possesseur de véhicule électrique est de 4725 Euros par mois ;
- Le revenu moyen des détenteurs de crédits en France est de 40000 Euros par an.
Le Gouvernement a proposé la mise en place d’un « leasing social », qui puisse favoriser l’accès à une offre de véhicules vertueux avec un loyer préférentiel de 100 Euros. Les données précitées mettent en évidence l’enjeu d’instaurer un dispositif qui puisse être finançable compte-tenu du public ciblé, et que les publics éligibles puissent bien en supporter le reste à charge.
Pour que le dispositif de soutien puisse être viable, les efforts doivent être consentis de la part des différents acteurs, que ce soit de la part de l’Etat, des établissements financiers, des constructeurs et des distributeurs automobiles.
La mise en place d’un leasing social doit respecter plusieurs principes fondamentaux afin d’être réaliste.
- Un dispositif devant privilégier un mix énergétique ouvert aux véhicules Crit’Air 1 et aux VO récents
Les véhicules électrifiés (BEV et PHEV) ne peuvent suffire pour atteindre l’objectif fixé par le Gouvernement, d’un loyer de 100 Euros par mois, car ils représentent une volumétrie insuffisante (20% du marché du véhicule neuf sur les 5 premiers mois de l’année de 2022, soit 300 000 véhicules en année pleine) et un prix trop élevé.
Par ailleurs, le marché du véhicule électrique d’occasion est à l’heure actuelle quasiment inexistant. Il convient d’être vigilant sur le risque d’un leasing qui permettrait uniquement l’acquisition de véhicules électriques « bas de gamme » ne répondant pas aux besoins du marché d’occasion (gros rouleurs, familles, etc.). A terme, ces véhicules ne pourront pas satisfaire de façon équilibrée la demande de véhicules d’occasion, alors que le recours aux véhicules d’occasion Crit’Air 1 (parc roulant de 10 600 000 véhicules) permettrait de desserrer la contrainte à la fois sur les volumes et sur les prix.
Enfin, le plafond, en termes de prix d’achat du véhicule, devrait être au minimum de 40 000 Euros (hors aides). L’avantage est de ne pas exclure du dispositif les véhicules de segment C produits en France. Pour mémoire, une 308 essence (produite à Sochaux) coûte 28 000 €. En outre, ce seuil permet d’intégrer dans le dispositif les offres de véhicules électriques sur le segment B (Peugeot e-208, Renault Zoé, ...) dont le prix de base est de 34 000 Euros.
De manière générale, et compte-tenu des attendus, il existe un fort enjeu d’un dispositif de leasing social qui puisse favoriser l’éligibilité de véhicules fabriqués en France et au sein de l’Union européenne, et non de produits fabriqués en-dehors de l’Europe. Actuellement, l’offre « low cost » en BEV se limite à la Dacia Spring (19 000 € avant aides), fabriquée en Chine.
En élargissant le recours aux véhicules Crit’Air 1 tel que proposé, le dispositif pourrait ainsi être axé sur des véhicules produits en France et en Europe. En allant plus loin, ce dispositif pourrait même être réservé à des marques disposant d’un service après-vente implanté sur le territoire français.
- L’enjeu d’un public éligible bien dimensionné, intégrant à la fois les ménages modestes et les classes moyennes
Les organismes de financement sont unanimes pour affirmer que les classes populaires n’ont pas les moyens d’acheter des véhicules électriques neufs. Le public et les véhicules ciblés ne sont pas compatibles.
Cependant, les établissements financiers sont prêts à consentir un risque pour la médiane de la classe moyenne : 30.000 Euros net par foyer fiscal, avant prélèvement à la source. Ces populations sont en capacité d’accéder à un véhicule électrique neuf via la mise en place d’un leasing court, de 36 à 48 mois, avec une aide sur l’apport initial.
Les aides de l’Etat doivent donc être maintenues, voire augmentées : la prime à la conversion version 200 000 dossiers pourrait être réinstaurée dans ses montants (jusqu’à 5000€), en ramenant le plafond de grammage aux Crit’Air 1 (128 g.CO2/km en WLTP), et modulée selon un revenu fiscal par part de 18 000€ (5ème décile inclus).
Un autre levier potentiel est l’allongement de la durée du financement, soit obtenir une garantie de l’Etat pour pallier les incertitudes liées aux publics éligibles. Afin de réduire la durée des financements, une garantie de l'Etat sur des valeurs résiduelles semble la meilleure option, car neutre fiscalement pour l'Etat dans l'immédiat.
Il est néanmoins majeur que le dispositif soit accessible au plus grand nombre, plutôt que de favoriser des critères d’implantation des ménages dans les ZFE (qu’advient-il des ménages en périphérie ?) ou des notions de gros rouleurs. Il s’agit de favoriser une mobilité pour tous, accessible aux classes moyennes et précaires qui en ont le plus besoin.
- Un dispositif devant être porté par des professionnels de l’automobile
Ce critère permet d’assurer une qualité des véhicules éligibles et de limiter les risques, notamment administratifs et financiers. En effet, les distributeurs automobiles pratiquent massivement des offres de LOA, qui permettent par ailleurs à l’organisme financier de diminuer son risque en restant propriétaire du véhicule.
En outre, les concessionnaires gèrent déjà à l’heure actuelle, pour le compte de l’Etat, et avec succès, le financement des aides à l’acquisition (avances des bonus écologiques et des primes à la conversion). Ce soutien de la part des distributeurs automobiles a été par exemple très précieux au moment de la mise en place de l’opération des « 200.000 PAC exceptionnelles » au sortir du premier confinement. L’appui des concessionnaires avait en effet permis d’atteindre l’objectif des 200.000 PAC en l’espace de deux mois, en organisant une traçabilité et un suivi avec l’appui de Mobilians.
Les concessionnaires automobiles représentent l’interface avec le client final, et assurent un rôle essentiel de pédagogie auprès du consommateur : accompagnement pour l'obtention des aides, montage du dossier administratif, prise en main du véhicule, information sur l'utilisation des bornes de recharge, installation éventuelle de bornes à domicile ou en copropriété, etc.
- Un dispositif devant être centré sur l’acquisition automobile
L’objectif prioritaire d’un tel dispositif doit être le renouvèlement du parc automobile et la démocratisation de l’achat du véhicule électrique. Il s’agit d’un enjeu majeur compte-tenu des politiques publiques à l’œuvre (instauration des Zones à Faibles Emissions), qui nécessitent d’accélérer drastiquement le renouvèlement des « véhicules propres », alors même que le contexte géopolitique met sous tension l’accès à l’automobile (crise ukrainienne, crise des composants, …).
Des dispositifs soutenant les mobilités douces existent déjà et ne répondent pas à l’enjeu social et aux besoins des publics aujourd’hui ciblés, qui sont souvent éloignés des centres urbains (périphérie urbaine, zones rurales ou peu denses, etc.), et aux attentes, notamment pour la mobilité domicile-travail et l’accès à l’emploi.
- Un dispositif qui demande une vision de long terme
Enfin, le dispositif de leasing social a vocation à s’élargir dans le cadre d’une réflexion plus globale, et d’une planification pluriannuelle de la fiscalité automobile.
La mise en perspective sur du temps long est indispensable pour donner de la visibilité à une filière qui en manque cruellement.
Contact presse
- Dorothée Dayraut-Jullian, Directrice des Affaires publiques et de la Communication – 06.16.95.31.35
Annexe 1 : Répartition des vignettes Crit’Air (au 1er janvier 2021) dans les ZFE et intercommunalités voisines
Étiquettes de lignes |
Crit'Air 1 |
Crit'Air 2 |
Crit'Air 3 |
Crit'Air 4 |
Crit'Air 5 |
Crit'Air E |
Non classés ou inconnus |
Total général |
France (hors DOM-TOM) |
9 570 665 |
13 906 680 |
9 243 448 |
3 221 285 |
768 595 |
244 863 |
1 390 730 |
38 346 266 |
13 233 328 |
||||||||
Étiquettes de lignes |
Crit'Air 1 |
Crit'Air 2 |
Crit'Air 3 |
Crit'Air 4 |
Crit'Air 5 |
Crit'Air E |
Non classés ou inconnus |
Total général |
CA de la Rochelle |
31 733 |
35 733 |
23 195 |
7 020 |
1 574 |
998 |
3 236 |
103 489 |
CA du Grand Annecy |
45 303 |
52 781 |
25 442 |
6 705 |
1 184 |
1 418 |
2 812 |
135 645 |
CA Valence Romans Agglo |
34 876 |
50 465 |
33 581 |
11 516 |
2 531 |
1 025 |
4 717 |
138 711 |
Clermont Auvergne Métropole |
47 154 |
58 721 |
42 002 |
13 379 |
2 934 |
1 021 |
5 650 |
170 861 |
CU d'Arras |
18 757 |
24 300 |
13 653 |
4 097 |
825 |
484 |
1 290 |
63 406 |
CU du Grand Reims |
42 750 |
60 186 |
35 964 |
10 908 |
2 082 |
878 |
4 015 |
156 783 |
Eurométropole de Strasbourg |
73 134 |
85 193 |
57 871 |
17 431 |
3 159 |
1 898 |
5 510 |
244 196 |
Grenoble-Alpes-Métropole |
68 889 |
77 203 |
55 756 |
15 903 |
2 858 |
1 654 |
5 158 |
227 421 |
Intercommunalités voisines |
3 799 066 |
5 261 609 |
3 396 668 |
1 131 291 |
245 758 |
101 700 |
442 333 |
14 378 425 |
Métropole d'Aix-Marseille-Provence |
291 909 |
377 172 |
236 429 |
75 483 |
14 904 |
9 713 |
27 581 |
1 033 191 |
Métropole de Lyon |
197 890 |
251 065 |
150 689 |
45 170 |
8 028 |
5 829 |
14 351 |
673 022 |
Métropole du Grand Nancy |
39 252 |
47 592 |
28 737 |
8 056 |
1 297 |
917 |
2 418 |
128 269 |
Métropole du Grand Paris |
825 240 |
914 162 |
573 766 |
159 568 |
30 776 |
25 274 |
78 366 |
2 607 152 |
Métropole Européenne de Lille |
173 089 |
216 292 |
137 309 |
42 281 |
8 009 |
4 090 |
10 746 |
591 816 |
Métropole Nice Côte d'Azur |
94 508 |
93 645 |
62 430 |
17 274 |
3 329 |
2 401 |
8 773 |
282 360 |
Métropole Rouen Normandie |
80 780 |
105 608 |
63 251 |
19 681 |
4 349 |
2 377 |
7 220 |
283 266 |
Métropole Toulon-Provence-Méditerranée |
82 232 |
82 049 |
59 410 |
17 976 |
3 840 |
1 469 |
7 836 |
254 812 |
Montpellier Méditerranée Métropole |
69 615 |
89 455 |
60 519 |
19 748 |
4 020 |
1 842 |
6 246 |
251 445 |
Saint-Etienne Métropole |
54 936 |
78 118 |
56 728 |
19 824 |
3 915 |
1 046 |
5 921 |
220 488 |
Toulouse Métropole |
118 311 |
146 593 |
96 512 |
30 321 |
6 253 |
3 401 |
11 139 |
412 530 |
Vallée de l'Arve |
26 604 |
34 452 |
18 754 |
5 926 |
974 |
603 |
1 831 |
89 144 |
Total général |
6 216 028 |
8 142 394 |
5 228 666 |
1 679 558 |
352 599 |
170 038 |
657 149 |
22 446 432 |
Source : http://dataviz.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/ZFEShinyAppv3
Annexe 2
Fiscalité des ménages Français (2018)
Revenu disponible par ménage selon la tranche de revenu en 2018 (INSEE – DGFIP)
|
Limite supérieure de tranche de revenu (décile, en euros par an) |
Revenu annuel moyen (en euros par an) |
Nombre d'unités de consommation moyen par ménage |
Inférieur à D1 |
13 820 |
10 030 |
1,10 |
D1 à D2 |
17 820 |
15 910 |
1,15 |
D2 à D3 |
21 670 |
19 730 |
1,21 |
D3 à D4 |
25 760 |
23 680 |
1,34 |
D4 à D5 |
30 620 |
28 150 |
1,46 |
D5 à D6 |
36 160 |
33 320 |
1,59 |
D6 à D7 |
42 480 |
39 260 |
1,69 |
D7 à D8 |
50 840 |
46 450 |
1,82 |
D8 à D9 |
65 250 |
57 230 |
1,90 |
Supérieur à D9 |
/// |
102 880 |
1,97 |
Ensemble |
/// |
37 670 |
1,52 |
Lecture : en 2018, les 10 % des ménages dont le revenu disponible est compris entre 17 820 euros (D2) et 21 670 euros (D3) ont un revenu annuel disponible moyen de 19 730 euros. Ils comptent en moyenne 1,21 unité de consommation.
Dépense de transports et part dans le revenu disponible des ménages selon le niveau de vie des ménages en 2017 |
||
Part dans le revenu disponible |
Achat net de véhicules |
|
Inférieur au 1ᵉʳ décile (10 % les plus modestes) |
21,3% |
553 |
Du 1ᵉʳ au 2ᵉ décile |
14,9% |
599 |
Du 2ᵉ au 3ᵉ décile |
13,7% |
767 |
Du 3ᵉ au 4ᵉ décile |
14,7% |
1128 |
Du 4ᵉ au 5ᵉ décile |
14,2% |
1143 |
Du 5ᵉ au 6ᵉ décile |
14,6% |
1467 |
Du 6ᵉ au 7ᵉ décile |
14,4% |
1771 |
Du 7ᵉ au 8ᵉ décile |
13,5% |
1916 |
Du 8ᵉ au 9ᵉ décile |
12,5% |
1878 |
Supérieur au 9ᵉ décile (10 % les plus aisés) |
11,5% |
3336 |
Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5358250